Relier

Une exposition de Mélanie Leblanc au musée Stéphane Mallarmé

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Se relier

Comment se relier à l’autre, à soi, à la nature ou aux morts, tout en reliant les mots aux autres arts ?

C’est la question souterraine qui m’a accompagnée pendant des mois pour préparer l’exposition « Relier » au musée Mallarmé. L’exposition a vite été plongée dans le noir, ce qui a rendu cette question  plus vive que jamais.

Des milliards d’être humains ont été ou sont encore isolés, tandis que ce virus nous rappelle que chaque individu est lié à toute l’humanité : « La révélation foudroyante des bouleversements que nous subissons est que tout ce qui semblait séparé est relié », a écrit Edgar Morin dans son Tract de crise, paru le 21/04/2020.

Je souhaite que cette « révélation foudroyante » nous invite à nous relier de façon lumineuse, dans notre humanité. L’art est une des voies qui le permet, celle qui m’est la plus chère.

On sait que rien ne remplacera l’émotion collective partagée dans la présence. Celle de la salle pleine d’inconnu.e.s qui vibrent ensemble pendant un film, une pièce de théâtre, un spectacle de danse, une lecture, une exposition, un concert. Pour cette exposition en particulier, le corps du spectateur était sollicité, à travers les différents sens, les mouvements dans l’espace et la participation aux jeux poétiques. Il y a de l’irremplaçable.

Mais une oeuvre qui n’est pas regardée n’existe pas. De plus, les événements annulés mettent en péril les auteurices et les artistes. Enfin ce mot, « relier », comment le taire, quand l’individualisme, la division et la haine de l’autre menacent à travers le monde ?

Une exposition virtuelle est donc imaginée, pour relier temps d’avant et temps d’après, pour se relier, au présent, avec les morts et les vivants.

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L'exposition

Je m’appelle Mélanie Leblanc. A seize ans, en découvrant « le soleil noir de la mélancolie » de Nerval, j’ai compris que mon nom cachait un oxymore, qu’il unissait le noir et le blanc, l’ombre et la lumière.
Or, réunir les opposés, relier est ce qui m’importe – et qui donne son titre, comme une direction, à cette exposition.

Stéphane Mallarmé m’a aidée à le penser, quand il écrit dans Crise de vers : « Toute âme est une mélodie, qu’il s’agit de renouer ; et pour cela sont la flûte et la viole de chacun. Pour l’indiscutable rayon – comme des traits dorent et déchirent une mélodie : où la Musique rejoint le Vers pour former, depuis Wagner, la Poésie. »

Le lien entre la poésie et les arts est présent dans la scénographie de l’exposition, chaque pièce ayant une dominante artistique : dans la pièce principale, la poésie rencontre les arts visuels ; dans la deuxième, le salon japonais invite à l’écoute de rencontres entre poésie et musique ; enfin, dans la bibliothèque, un écran diffuse un film réalisé à partir d’une correspondance. Ces différents espaces sont eux-mêmes reliés par un poème-fil. Dans la salle de médiation, des jeux poétiques sont aussi proposés. Pour se relier, à soi et aux autres, il me semble essentiel d’être dans la joie, jouer !

A travers les oeuvres, on peut voir que l’idée de relier ne s’arrête pas aux liens entre les arts.
Ainsi, « Relier », le poème-fil qui parcourt l’exposition, évoque comment la voix des morts se lie à celle des vivants. Je questionne également les pouvoirs de la poésie pour se « religere », l’étymologie latine nous rappelant que le mot « religion » a la même origine. Il ne s’agit pas de faire de la poésie une religion nouvelle, mais un lieu où faire du commun, en partageant sur de l’essentiel.

J’aime travailler l’épure, comme j’ai pu le faire avec Des falaises. Je souhaite à ma façon « donner un sens plus pur aux mots de la tribu », ce qui n’est ni mépris de la tribu, ni pratique élitiste. Au contraire, je pense que l’économie de mots est une façon de laisser de la place au lecteur, une invitation à ce qu’il co-crée le poème avec l’auteur. Lors de mes années d’enseignement en collège de ZEP comme en atelier,  j’ai rencontré des élèves “bloqués avec l’écrit” très à l’aise avec la poésie. Je suis persuadée que l’on peut proposer la plus haute exigence poétique sans exclure.  Avec la musique acousmatique comme avec la poésie visuelle, les mots sont pesés avec soin, choisis, donnés à voir et à entendre dans toute leur puissance retrouvée. Philippe Longchamp, dans la revue Esprit, avait qualifié mes poèmes de mille-feuilles, une image qui m’a marquée car elle dit combien je cherche à être à la fois immédiatement accessible, me souvenant de la phrase d’Antoine Emaz, « le poème doit être accessible à une sensibilité d’enfant », tout en proposant d’autres strates.

Je cherche à relier la pensée de Mallarmé, qui écrit « Toute chose sacrée et qui veut demeurer sacrée s’enveloppe de mystère » à celle de Giono, qui écrit « quand les mystères sont très malins, ils se cachent dans la lumière. »

Mélanie Leblanc

Mélanie Leblanc

Mes études de Lettres ont en partie inhibé mon envie d’écrire née dans l’enfance – en cause, le culte du « grand homme de lettres », dont Mallarmé fait évidemment partie. J’écrivais malgré tout en secret, jusqu’au jour où j’ai osé écrire dans la rue, sur des passages cloutés. J’ai ensuite participé à un festival, Poésie dans(e) la rue, en écrivant les poèmes des autres dans la rue. Des revues m’ont fait confiance, ainsi qu’un artiste, Samuel Buckman, avec qui j’ai réalisé des livres pauvres. J’ai enfin osé envoyer un manuscrit par la poste, retenu par Cheyne éditeur : Des falaises (2016). Deux semaines après la sortie de ce livre est sorti un livre-cd, éphéméride, aux éditions Les Venterniers, puis la traduction de poèmes de la chanteuse Karen Dalton et Presque je vole (2017) aux éditions Derrière la salle de bain. Ainsi, dès le début, mon écriture a été mêlée à différents arts et différents supports.

L’exploration de différentes formes de livre se poursuit avec les éditions Les Venterniers : Des étoiles filantes (2018) est un livre-objet dont on peut offrir les pages, Quand mon coeur (2020) un leporello de cartes poétiques et les Dés poétiques (2020), trois dés pour écrire des poèmes avec le hasard.

Je continue d’écrire des poèmes destinés à des recueils, les derniers pouvant être lus dans l’anthologie du Printemps des poètes réalisée par le Castor astral, Nous, avec le poème comme seul courage, et dans le numéro 641 de la NRF (mars 2020).

Etre en résidence au musée Mallarmé

arbre Mallarmé

Mallarmé est connu pour ses liens intimes avec la peinture et la musique, pour ses mardis où se réunissaient certains des plus grands auteurs et artistes de son temps, pour son fameux Coup de dés qui fit entrer la poésie dans un rapport à l’espace et au rythme résolument moderne. Sans oublier L’Après-midi d’un Faune, qui donna lieu à deux autres chefs-d’œuvre d’avant-garde, en musique avec Debussy et en danse avec Nijinsky.
Cela me parle profondément. Je crois que la poésie est le genre littéraire le plus ouvert sur les autres arts et j’aime les voir dialoguer, se nourrir mutuellement.

Ainsi, cette résidence dans la maison du « Prince des poètes » me permet de relier mes poèmes aux différents arts.
Je cherche comment le poème peut investir un lieu d’exposition, en existant à la fois dans sa dimension plastique et sonore. Parmi les arts visuels, j’expérimente la photographie, la broderie, le caviardage à l’encre de Chine, l’encre, la gravure… et d’autres formes encore, dans mon carnet de résidence ou dans la rue.
C’est également l’occasion de collaborations enrichissantes avec des artistes, mais aussi des professeurs et des élèves. 
Le personnel du musée compte énormément durant la résidence – les connaissances de Florie sur Mallarmé, l’accueil chaleureux de Raphaël, le sens de l’organisation de Lou et le fameux sens pratique de Grégory m’ont été précieux !

En découvrant davantage Mallarmé, grâce à sa bibliothèque personnelle, à la présence dans ce lieu magique où la nature déborde, aux précieux documents et objets du musée et aux échanges avec les personnes qui y travaillent, j’ai pris conscience de liens bien plus intimes avec Mallarmé. J’ai découvert son immense sensibilité, sa fantaisie, sa modernité et sa dimension spirituelle. Enfin, ses réflexions sur la littérature et l’art ne cessent de nourrir mon travail personnel.

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Les partenaires

Cette résidence au musée départemental Stéphane Mallarmé s’inscrit dans le cadre des résidences IDF financées par la Région et par le Département de Seine-et-Marne.

Le principe d’une résidence d’auteur en Ile-de-France est que l’auteurice partage son temps entre 70% de création et 30% de médiation. Cette médiation vise notamment à faire rayonner le musée sur le territoire.

Ainsi, un projet a été monté sur l’année avec une classe de Seconde du lycée François Couperin de Fontainebleau, encadrée par une professeure de lettres et une professeure d’histoire des arts. Je suis intervenue auprès de la Seconde Mallarmé une semaine sur deux jusqu’au confinement, afin de les accompagner dans la création d’oeuvres présentées aux côtés des miennes dans l’exposition.

Je devais intervenir auprès d’une classe du collège de Vulaines-sur-Seine dans le cadre du projet « La classe, l’oeuvre ! », autour de la lanterne magique, pour une présentation lors de la Nuit des Musées.

Enfin, en novembre, j’ai animé une journée de formation à la Médiathèque Départementale de Seine-et-Marne, pendant laquelle j’ai eu l’occasion de constituer ma « bibliothèque idéale », présente dans l’exposition.

J’ai également une partenaire particulière en la personne de mon éditrice des Venterniers, Elise Bétremieux, qui a accompagné cette résidence pour trois projets : la  réalisation du catalogue, la conception des dés poétiques et la création d’un livre-objet, Quand mon coeur, sorti pour l’ouverture de l’exposition.